La réalité virtuelle peut-elle soigner les acouphènes ?

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Cet article a été réalisé suite à l’interview de Isabelle Viaud-Delmon, Chargée de recherche CNRS à l’Ircam et au Centre Émotion de la Pitié-Salpêtrière. Mme Viaud-Delmon est également membre de l’équipe « Espaces acoustiques et cognitifs » du CNRS.

TA : En premier lieu, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment fonctionne la réalité virtuelle et comment celle-ci peut s’inscrire dans une thérapie pour acouphènes ?

IVD : C’est une question difficile. C’est un peu comme si vous demandiez comment fonctionne la machine a écrire pour écrire un livre. Au même titre que la machine a écrire, la réalité virtuelle n’est qu’un outil, ou plutôt un ensemble d’outils, permettant de mettre en oeuvre de nouvelles formes de thérapie. Mais la thérapie en elle-même, c’est comme le livre dans mon exemple. Son mécanisme ne repose pas sur l’outil utilise. Il peut ainsi y avoir plusieurs formes de thérapies pour les acouphènes utilisant toutes la réalité virtuelle.

La réalité virtuelle est un terme qui peut renvoyer a bien des techniques. Très souvent, on pense automatiquement a un visiocasque quand on parle de réalité virtuelle. Le visiocasque n’est qu’une interface visuelle qui permet a un individu de s’immerger dans un environnement artificiel en étant coupe visuellement du monde physique réel. Si le visiocasque n’est pas équipé d’un capteur de mouvement de la tête, il n’y aura aucune interaction avec l’environnement artificiel, et expérience sera réduite a de la visualisation passive.

Il n’y a pas UNE thérapie pour acouphènes, mais plusieurs thérapies possibles

Si la visualisation est couplée au mouvement de la tête, cela permettra au système informatique de mettre a jour l’image dans le visiocasque en fonction des mouvements de la tête de l’individu, et cela deviendra de la réalité virtuelle. La réalité virtuelle repose sur l’interaction de l’individu avec le contenu qui lui est propose, et sur l’immersion d’au moins un de nos sens, le plus souvent la vision. Mais celle ci peut impliquer bien d’autres sens, par exemple l’audition et le toucher, en fonction des interfaces utilisées.

Il n’y a pas UNE thérapie pour acouphènes, mais plusieurs thérapies possibles. Je ne pourrai résumer toutes les approches existantes. Dans ce que nous avions développé, nous proposions une navigation dans un monde visuel et auditif virtuel, dans lequel l’individu pouvait moduler le son de son acouphène que l’on avait au préalable modélisé pour le reproduire dans l’environnement. L’individu tenait son acouphène virtualisé au bout d’une baguette et le promenait ainsi dans l’environnement virtuel, tentant de trouver les situations dans lesquelles il était le moins dérangeant. Dans l’environnement, le son était complètement immersif et spatialisé, permettant a l’individu d’entendre les variations de son acouphènes liées a sa position dans l’espace.

L’idée qui conduisait ce projet était de permettre a l’individu, dans le monde virtuel, de prendre contrôle sur son acouphène, de sorte a le rendre plus supportable. Au bout de plusieurs séances, l’individu développait ainsi des stratégies pour « apprivoiser » son acouphène.

TA : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Vous évoquez également des stratégies pour « apprivoiser » les acouphènes, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

IVD : L’étude a été réalisée a l’Hôpital Européen Georges Pompidou, dans le service du Professeur Bonfils et avec le Docteur Londero, entre 2008 et 2013.

Les résultats suggèrent que l’accompagnement en RV est aussi efficace que la TCC, qui est le traitement de référence pour les acouphènes

C’était une étude clinique qui a impliqué 3 groupes de patients souffrant d’acouphène subjectif unilatéral : un groupe de 60 patients auquel était proposé 8 sessions de réalité virtuelle (RV), un groupe de 60 patients auquel était proposé 8 séances de thérapie cognitive et comportementale (TCC), un groupe de 30 patients dits « en liste d’attente », c’est a dire qu’aucun accompagnement ne leur était proposé. Les résultats suggèrent que l’accompagnement en RV est aussi efficace que la TCC, qui est le traitement de référence pour les acouphènes.

La thérapie proposée en réalité virtuelle consistait a favoriser la dissociation entre la perception de l’acouphène et sa représentation mentale en travaillant sur l’appropriation progressive par le patient de la localisation de l’acouphène dans l’espace de sorte a permettre, a terme, sa maîtrise au niveau émotionnel.

En pratique, la méthode implique dans un premier temps de synthétiser un son reproduisant les caractéristiques auditives de l’acouphène perçu par le patient (cette étape était faite pour les 3 groupes, avant randomisation dans un des trois groupes). Pour le groupe traité en réalité virtuelle (RV), l’acouphène synthétique était ensuite inséré dans un environnement de RV interactif ou il est représenté visuellement par un bouquet d’étincelles que le patient manipule en temps réel de sorte a en contrôler la localisation dans l’espace. Les différentes composantes sonores de l’environnement virtuel (acouphène synthétique ainsi que diverses sources ou ambiances sonores) sont spatialisées au moyen de techniques binaurales (Londero et al 2010).

Nous pensons que le contrôle actif de l’acouphène synthétique rendu dans les modalités visuelles et auditives favorise l’apparition de la maîtrise de la perception acouphénique, lui enlevant son caractère aversif.

Le succès de la méthode repose sur la similitude spectrale perçue entre l’acouphène synthétique et l’acouphène du patient. Par ailleurs, la possibilité de contrôler la localisation de l’acouphène synthétique suppose qu’un phénomène de fusion intervienne entre ce dernier, présente à l’oreille controlaterale du patient, et l’acouphène. Ce phénomène de fusion est facilité par l’intégration des différentes informations sensorielles sollicitées lors de l’immersion en réalité virtuelle.

La rédaction de Traiter-acouphenes.fr remercie Isabelle Viaud-Delmon pour ses précieux éclairages sur le sujet.

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