L’hétérogénéité des acouphènes : un problème pour les patients, pour la médecine et pour la recherche

0
4471

Derrière le seul mot « acouphène », il y a en réalité une multitude de cas très différents : les acouphènes peuvent varier en cause, en manifestation et en ressenti. Acouphènes somatosensoriels, pulsatiles, otospongiose, dysfonctionnement tubaire, syndrome tonique du tenseur du tympan, déhiscence du canal supérieur, fracture des rochers, maladie de Ménière, neurinome… Difficile de s’entraider entre personnes souffrant d’acouphènes si on ne vit pas du tout la même expérience que les autres et si on est incapable de savoir si ce qui a marché pour soi est susceptible de marcher pour d’autres. De même, difficile de prouver l’efficacité d’un traitement pour les acouphènes si en tant que  chercheur/chercheuse on n’est pas sûr d’avoir recruté des patients qui ont tous le même problème. L’hétérogénéité des acouphènes est un frein pour la recherche et une difficulté pour les patients pour trouver les bonnes solutions. Comment peut-on tenter de résoudre ce problème ?

Les acouphènes, un concept flou et multiforme

Il est souvent difficile de naviguer sur les terminologies et les concepts associés à l’acouphène. Les contours sont flous, poreux, sujets à la controverse. La définition même de l’acouphène a été repensée récemment et deux définitions différentes ont été publiées en 2021 en France (par l’équipe de l’AFREPA) et à l’international (De Ridder et al 2021) et ne sont pas exactement similaires.

Lorsque l’on s’interroge sur la cause de l’acouphène, pour l’instant certaines observations d’ordre épidémiologique peuvent être faites. De nombreux cas d’acouphènes pulsatiles sont dus à des sténoses vasculaires (veineuses ou artérielles), certaines personnes ont des acouphènes associés à une otospongiose (calcification de l’étrier dans l’oreille moyenne) ou à un neurinome (tumeur au niveau du nerf cochléo-vestibulaire)… On peut se dire que de telles circonstances, le dommage subi explique la présence de l’acouphène, mais à nouveau, il faut rajouter une couche de complexité quand on prend en compte que toutes les sténoses veineuses et artérielles ne provoquent pas d’acouphènes, que tous les cas d’otospongioses et de neurinomes non plus. Ainsi, ce genre de pathologie peuvent, mais pas nécessairement, provoquer un ou des dysfonctionnements à un ou plusieurs endroits qui ont comme répercussion l’acouphène.

De plus, est-on toujours capable d’associer l’acouphène à ce genre de cas connus ? Malheureusement non.

Pour la plupart des lecteurs qui ont des acouphènes et qui ont déjà consultés des ORLs experts des acouphènes, nombre d’entre eux le savent. De nombreuses hypothèses sont avancées sur de nombreux mécanismes pouvant provoquer les acouphènes dans ces cas encore peu compris, mais il y encore du chemin à faire pour qu’un consensus trie les hypothèses valides et effectue un découpage précis des différents « types » d’acouphènes. 

Dans le cadre de mes recherches, j’ai pu récemment travailler sur une base de données de 3703 questionnaires patients sur les acouphènes, où le médecin, quand il le pouvait, avait annoté ce qu’il pensait être l’étiologie de l’acouphène du patient. Si on regarde les cas suivants : acouphènes pulsatiles, otospongiose, dysfonctionnement tubaire, fracture des rochers, maladie de Ménière, neurinome ; on peut remarquer que l’ensemble de ces patients ne représentaient seulement que 12% de la totalité des cas présents dans la base de données. 

Ces cas d’acouphène connus ne sont donc que la partie émergée de l’iceberg.

Les conséquences de cette hétérogénéité

Pour la recherche :

L’hétérogénéité des acouphènes freine la recherche sur les acouphènes qui tente de mieux les comprendre et de mieux les traiter. En effet, pour valider scientifiquement des résultats, les observations doivent être effectuées sur des groupes homogènes de patients. C’est important : comment vérifier si un traitement pour le coronavirus fonctionne si on inclut dans l’étude tous les patients qui ont mal à la gorge sans différentier s’ils ont une grippe, un rhume ou une allergie ? Pour les études sur les acouphènes, bien définir les critères d’inclusion et de non-inclusion pour rassembler une population homogène de patient est donc une question cruciale, et non totalement résolue. De plus, plusieurs types d’acouphènes différents à étudier et à apprendre à traiter, c’est d’autant plus de travail à fournir pour la recherche ! 

Pour les médecins :

L’hétérogénéité des acouphènes affecte les médecins dans leur travail de diagnostic et d’orientation des patients. Il existe un nombre limité d’examens diagnostics pour tenter d’identifier les causes physiologiques de l’acouphène. Quand l’ensemble de ces tests sont réalisés et ne permettent pas de rapprocher le cas du patient à des cas « connus », il est difficile pour le médecin de s’exprimer sur la nature du problème. Il est de même compliqué, au-delà de l’intuition et de l’expérience issue d’une pratique régulière, d’orienter efficacement le patient vers la prise en charge la plus adaptée à ses besoins. De plus, cette hétérogénéité fait des acouphène un sujet complexe que tous les médecins n’ont pas eu l’occasion ou n’ont pas eu le souhait de creuser en profondeur.

Pour les patients : 

Les conséquences de ces incertitudes cumulées par la recherche et la médecine se répercutent sur les patients. Les chercheurs ne sont pas encore d’accord entre eux, les médecins spécialistes non plus et tous les médecins ne sont pas également documentés sur la question de l’acouphène. Si bien que les avis recueillis par le patient peuvent diverger (quand il y a un avis émis, ce qui n’est pas toujours le cas). Les patients peuvent consulter de nombreux médecins sans obtenir de réponses satisfaisantes et cela génère une souffrance et une frustration légitime.

On peut qualifier cette situation

« d’errance médicale ».

Quel travail est mené pour percer à jour cette hétérogénéité ?

Plusieurs initiatives successives ont été lancées au niveau de la recherche européenne pour tenter de résoudre le problème de l’hétérogénéité. En 2010, l’initiative de la Tinnitus Database a été lancée pour rassembler des données épidémiologiques de manière centralisée au niveau européen pour tenter d’isoler des sous-types d’acouphènes sur de très larges cohortes. Puis l’ESIT (European School on Interdisciplinary Tinnitus Research) en 2018, puis encore plus récemment le projet européen UNITI en 2021 : 6 millions d’euros pour essayer de mieux flécher les patients vers les prises en charge les plus adaptées à leur besoin. Enfin, l’association de patients britannique, la British tinnitus association est en train de lancer un nouveau projet, la Tinnitus Biobank, qui utiliserait un panel encore plus large de données en incluant des mesures audiométriques et des prélèvements sanguins, sur des sujets acouphéniques et sur sujets sains !

Et en France que se passe-t-il ?

En France, Louis Korczowski et moi, Robin Guillard, avons lancé mi-2021 une application smartphone communautaire gratuite, Siopi, pour faire avancer la recherche sur la question de l’hétérogénéité des acouphènes. Nous sommes deux contributeurs à la recherche sur les acouphènes, et nous avons pu lancer ce projet grâce au financement de la Fondation Félicia et Jean-Jacques Lopez-Loreta.


L’application permet à ses utilisateurs de trouver des personnes acouphéniques ayant les mêmes profils de symptôme d’acouphène qu’eux et de voir les solutions qui ont le mieux marché pour eux. Lors de l’inscription sur l’application, les utilisateurs remplissent un questionnaire médical sur leurs acouphènes et ces données sont mises à disposition de la recherche publique sur les acouphènes.

Notre approche est ainsi d’apporter de l’aide pour les patients acouphéniques en situation d’errance médicale tout en créant un cercle vertueux qui aide la recherche du même coup. Nous avons notamment ajouté le questionnaire international standardisé ESIT-SQ traduit en français sur l’application afin que les données recueillies sont transmises à au projet européen de la Tinnitus Database.

Nous avons reçu avec Siopi le prix de l’innovation de la journée de l’audition de l’association des ORLs de France (SFORL) et de la Fondation pour l’Audition et nous sommes partenaire officiel de l’association de patients France-Acouphènes.

N’hésitez pas venir jeter un coup d’œil à notre site https://siopi.ai/fr/ et à répondre à notre questionnaire pour vous inscrire qui aidera la communauté des patients, la recherche, et qui vous aideront en retour !

Cet article a été rédigé par notre expert invité :
Robin Guillard
Doctorant sur les interactions entre acouphènes et sommeil au Gipsa-Lab et président de Siopi.

SHARE
Previous articleComment le Neurofeedback entend traiter les acouphènes ?
Next articleLe stress peut-il provoquer des acouphènes ?
Traiter-acouphenes.com a pour objectif de rassembler le meilleur de l'information et des solutions afin de venir en aide aux personnes victimes d'acouphènes. Le but est de vous aider à mieux comprendre vos symptômes afin que vous puissiez vous orienter vers la ou les solutions adéquates. Retrouvez également tous nos contenus experts sur notre page Facebook ainsi que sur notre chaîne Youtube.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here